ACADÉMIE   EUROPÉENNE   INTERDISCIPLINAIRE   DES   SCIENCES
 

Le Principe de Précaution

Pr René Lucien SEYNAVE - Juin 2000

Attaqué sur deux fronts, celui ouvert par certains scientifiques trop surs d'eux-mêmes et celui entretenu par des intérêts économiques et politiques, les uns et les autres désireux de recueillir au plus vite les fruits des avancées techniques, le principe de précaution est un concept nouveau.

Il ne se confond pas du tout avec la sage recommandation attribuée à Zoroastre, "dans le doute, abstiens-toi", car le principe de précaution invite justement à ne pas s'abstenir, à ne pas attendre pour agir.

De même n'est-il pas une simple prudence, il s'analyse comme une attitude, un simple comportement d'essence purement individuel. Certes, le décideur de caractère prudent sera plus porté à appliquer le principe de précaution, même si les désastres sont pour les autres et les avantages pour lui-même.

Enfin, dernière distinction fondamentale, on évitera de confondre précaution et prévention. La prévention rassemble les mesures prises contre un danger identifié et dont le taux de risque, dans des situations connues, est mesurable, souvent mesuré avec une grande précision.

La précaution vise des dangers incertains, mal identifiés et dont le taux risque ne peut être déterminé ou ne peut l'être qu'avec une marge énorme d'incertitude, par exemple, la transmission à l'homme de l'ESB sous forme de MCJ-nv est actuellement estimée en Grande-Bretagne par un chiffre de deux à six zéros.

Aussi le principe de précaution est-il déformé ou détruit par toute tentative de réductionnisme. En raison de sa complexité, il relève très exactement d'une réflexion interdisciplinaire où chaque spécialiste tente de dépasser ses connaissances pointues pour les confronter à d'autres et favoriser par là l'élaboration d'une synthèse.

Ce concept est en effet le résultat

1 - de très puissants moyens techniques qui sont désormais à la disposition de l'Homme.

2 - de la rapidité de leurs évolutions : on se précipite sur des applications sans avoir ou délibérément sans prendre le temps d'en examiner les effets même les plus plausibles,

3 - de l'intensité des conséquences, en termes de personnes atteintes ou de dégradations du milieu, au point que des désastres irréversibles ou réparables par dizaines de méga-années alors que la vie humaine se mesure en dizaines d'années et l'Humanités elle-même n'a guère plus de quelques dizaines de kilo-années.

Ceux et celles qui ont la charge des décisions à incidences collectives n'ont pas la connaissance scientifique ou ne l'ont que de deuxième ou troisième main.

De toutes les façons, nul ne peut de nos jours avoir une vision scientifique étendue dans tous les domaines. De plus, cette connaissance est imparfaite et incomplète eu égard aux conséquences, sans compter que les lobbys industriels trouvent toujours ici ou là un scientifique de renom et qui parfois sort de sa propre spécialité, pour contester les alarmes lancées par d'autres.

Le doute scientifique est alors détourné de rôle dans l'avancement des Sciences. Les glissements sont particulièrement à redouter dans tout ce qui touche à la Biologie.

Le principe de précaution est donc à la croisée des chemins. Ses applications sont en quelque sorte les clés du sas entre les avancées techno scientifiques et leur usage courant, face à l'impatience des humains.

On verra successivement l'origine et la signification de ce concept, puis sa position juridique actuelle, ce qui conduit à des interrogations sur son évolution.
...